CHINA OUT OF TIBET !!

Ainsi donc, ne voilà-t-il pas que l'actuel régime chinois se veut soudain grand protecteur du bouddhisme, sous prétexte que « un monde harmonieux commence dans l'esprit. » A n'en pas croire ses oreilles : ces paroles tombent des lèvres d'un haut responsable de l'administration nationale des affaires religieuses. Tout aussi étonnant d'en rapprocher l'écho des propos de Hu Jintao, le président chinois, qui prêche avec insistance ces derniers temps sa volonté d'établir « une société harmonieuse ».

Et comme par un coup de baguette magique, une grande conférence internationale consacrée au bouddhisme est annoncée, et aussitôt réalisée à la mi-avril, à Hangzhou, dans le sud du pays, en présence d'un millier de participants d'une trentaine de pays. Comme par hasard, juste à la veille de Pâques, alors que circulent des rumeurs de désir de rapprochement de la Cité interdite avec le Vatican. Mais aussi du jamais vu en Chine depuis 1949, avec comme clou des réjouissances, la présence de Gyaltsen Norbu, le jeune panchen-lama imposé par les autorités (religieuses !) chinoises aux dépens de Gedhun Choekyi Nyima, reconnu par le Dalaï-lama comme réincarnation de son prédécesseur le Xe panchen-lama, aussitôt « protégé » depuis mai 1995 par le régime – personne ne l'a revu depuis cet enlèvement.

Immanquablement, à la réflexion, quelques questions se posent. Hu Jintao, dit « le boucher de Lhassa » en souvenir de l'impitoyable répression des manifestations au Tibet contre la présence chinoise, serait-il soudain revenu à de meilleurs sentiments ? Sous quelle influence – de son beau-frère dont on dit qu'il se proclame ouvertement fervent bouddhiste ? Ne serait-ce pas aussi calcul politique – en prévision des JO de 2008 bien sûr, mais d'abord de son voyage à Washington où il s'est s'entretenu avec George Bush, dont la sensibilité religieuse est de notoriété publique ? Le respect des droits de l'homme n'était certes pas au menu des discussions, mais les résultats de ce voyage ont surtout mis en lumière les profondes divergences entre les deux pays. Et la Chine a d'ores et déjà avancé sa candidature pour le tout nouveau Conseil des droits de l'homme, destiné à remplacer la défunte Commission trop discréditée et où Pékin a toujours tout fait pour s'épargner la moindre remontrance au vu de son irrespect de la liberté religieuse (sans parler du reste).

Alors, quoi de plus tentant que de se réclamer d'une tradition bouddhiste multiséculaire (et maintes fois brutalement réprimée) pour tenter de redorer un blason quelque peu terni. De toute manière, il n'est guère difficile de pousser sur l'avant-scène des organisations dites religieuses à la botte des autorités pour donner le change : qui donc disait que plus la ficelle est grosse, mieux la propagande passe ? Dans ce contexte, le jeune panchen-lama 'chinois' a son rôle à jouer – il l'a fait avec une jolie maîtrise lors de son apparition à Hangzhou, sans que cela suffise toutefois à dissiper craintes et doutes liés à la situation sur place au Tibet, où la campagne de rééducation se poursuit dans les monastères et où la surveillance demeure quotidienne, quand bien même la manne touristique remplit les caisses des institutions étatiques.

Sans doute aussi les Chinois d'en bas – pour reprendre une expression qui a fait florès – trouvent-ils un refuge face à leur désarroi dans une ligne de pensée qui ne leur est pas étrangère même si elle a été longtemps interdite, et d'aucuns en ont sûrement besoin en ces temps de bouleversements où les plus démunis sont les plus touchés. Vu de loin et de l'extérieur, le rassemblement convié à Hangzhou ressemble à la fois à une manipulation sans vergogne d'un régime autoritaire faisant flèche de tout bois et, peut-être, à un mini-signe d'espoir pour certains.

A condition de ne pas oublier que Gedhun Cheokyi Nyima est toujours prisonnier, que ni le Dalaï-lama ni le jeune karmapa n'ont été invités sous prétexte qu'ils seraient des « fauteurs de troubles », même si au début de l'année, à la cérémonie du Kâlachakra en Inde, pour la première fois, quelques milliers de Tibétains du Kham et de l'Amdo ont pu s'y rendre avec des sauf-conduits officiels. Pourtant, un peu plus tard, ajoutant l'offense à la souffrance, on apprenait qu'une statue géante de Mao était acheminée vers Lhassa, 'cadeau' du village natal du Grand timonier au pays occupé. Comble de cette cruelle ironie, les responsables chinois ont le front de prétendre que c'est répondre ainsi à la demande de 'nombreux Tibétains'… Et même si certains analystes vont jusqu'à s'interroger sur un éventuel pèlerinage du Dalaï-lama en Chine – le hiérarque exilé le souhaiterait - jusqu'ici, le refrain officiel chinois demeure inchangé : que le dalaï-lama renonce ouvertement à l'indépendance. N'y aurait-il donc que des sourds à la Cité interdite ? Il est vrai qu'il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre… A moins que, peut-être, de contradictions en renversements, d'incompatibilités en divergences, selon une dialectique bien tempérée, de ce flot de signaux désordonnés sinon opposés une étincelle de vérité ne finisse par éclairer un chemin bien tortueux…