CHINA OUT OF TIBET !!

« Deux questions ! Pas une de plus » Voilà comment l'homme qui incarne aujourd'hui pour des milliards d'êtres tourmentés la sérénité absolue – fruit de vingt-cinq siècles de méditation –, l'homme qui est l'image radieuse et irradiante de la sagesse, est confronté aux démons de l'époque : le manque de temps, l'angoisse sécuritaire et la pression des médias. D'où cette injonction courtoise mais anti-journalistique au possible de son entourage et de tous ceux qui pilotent son séjour dans notre région : « Deux questions, seulement deux questions ! » On finira, dans ce temple flamboyant du centre Lerab Ling, aux confins du plateau du Larzac, par en braconner deux petites supplémentaires en se disant que pour être professionnellement frustrant, ce dialogue avorté doit faire de nous, reporters incongrus en ce lieu de silence enchanté, de sacrés privilégiés.
Combien aimeraient être à notre place ? Pour un simple mot au milieu du brouhaha respectueux, pour un sourire inoubliable qui renvoie malicieusement les éclairs des flashes Oui, combien ? Sûrement des centaines et des milliers de ces bouddhistes français pour qui le 14e dalaï-lama est devenu le guide salvateur et vénéré d'une vie qui souvent s'enlisait. Il suffit de croiser leur regard, là-haut, sur le toit boisé de Lodève, pour s'en convaincre. Sans pour autant comprendre, faute d'avoir parcouru le même itinéraire spirituel qu'eux, d'avoir traversé le miroir de notre logique ou de nos croyances. C'est pourquoi on voudrait tellement aller au-delà des questions "obligatoires" pour aborder avec Sa Sainteté Tenzin Gyasto des interrogations plus fondamentales. Pourquoi, par exemple, la thèse la plus réfutée par les bouddhistes demeure celle d'un créateur tout-puissant ? Pourquoi leur approche de la souffrance et de la mort est-elle si différente de la nôtre ? Pourquoi.
Mais le moment ni le lieu ne sont indiqués. A moins que ce ne soit une manière très lamaïque de nous indiquer « qu'il faut faire le chemin soi-même ». Quant au journaliste frustré, il peut toujours se consoler avec cette pensée du Bouddha : «Celui qui interroge se trompe, celui qui répond se trompe».

Il y a vingt-cinq siècles, le Bouddha enseignait, dit-on, en prenant en compte les capacités de chacun. Ses sermons s'adaptaient à son auditoire. Dans ce même esprit "pédagogique", Votre Sainteté peut-elle préciser, pour les non initiés à la tradition et à la philosophie bouddhistes comme ceux qui ne pourront pas vous entendre durant votre semaine dans le Midi, quels seront les thèmes de vos enseignements ?
Tenzin Gyatso : On peut tenter de les résumer en deux points principaux. Nous évoquerons la vue philosophique qui est fondée sur l'interdépendance de tous les phénomènes et de tous les êtres. Ensuite, pour ce qui est de l'action, de la conduite, il sera question de la non-violence. Cette non-violence constitue la base permettant de développer l'amour et la compassion qui sont l'essence même du bouddhisme du point de vue de l'action. Je crois que ces convictions, l'interdépendance des phénomènes et la non-violence qui débouche sur l'amour et la compassion, permettent de résumer l'enseignement du bouddhisme. Mais l'amour, la tendresse, la compassion, la patience, le fait de savoir se contenter de peu, de n'avoir pas de désirs excessifs, de se donner une discipline personnelle, tout cela n'est pas nouveau. C'est quelque chose qui est en fait commun à toutes les grandes religions

Actuellement, même si l'Union bouddhiste de France ne recense que 600 000 pratiquants, un récent sondage indiquait que 11 % des Français (environ cinq millions de personnes) se disent proches du bouddhisme. Comment expliquez-vous cet attrait des pays occidentaux pour le bouddhisme en dépit de la différence de culture ?
Tenzin Gyasto : Moi, je suis surtout concerné par ce qui, dans le bouddhisme, pourrait être un bienfait, pourrait être utile à d'autres êtres humains appartenant ou non à d'autres religions. Mais jamais je ne pense : « Comment pourrais-je faire pour propager le bouddhisme ? ». Ce n'est pas du tout mon but ! Je ne veux pas faire de prosélytisme. Je pense que c'est quelque chose de beaucoup plus fiable, de beaucoup plus stable à long terme, que de conserver la religion et la tradition qui ont été les nôtres de façon ancestrale, culturelle.

Cette culture du bouddhisme tibétain est pourtant de plus en plus menacée par la Chine, même si c'est avec des moyens plus pernicieux que ceux utilisés dans les années qui ont suivi l'annexion du pays par les troupes de Pékin au début des années 50...
Tenzin Gyasto : C'est quelque chose dont nous reparlerons quand nous nous rendrons à Paris, quand j'irai au Sénat à l'invitation des parlementaires français. Ici, ma visite est essentiellement d'ordre spirituel et non pas d'ordre politique. Cela précisé, le combat pour le Tibet n'est pas seulement un combat politique, nous le menons aussi pour préserver la très vieille culture bouddhique du Tibet. Mais beaucoup de gens ne voient que l'aspect politique de la chose. Il y a vraiment les deux aspects de la question à prendre compte. Je le répète, ce combat n'est pas que politique !

Votre destin personnel est véritablement extraordinaire. A trois ans et demi, vous avez été reconnu comme la réincarnation du 13e dalaï-lama ; depuis 1959, vous vivez en exil en Inde ; et vous avez obtenu le prix Nobel de la paix en 1989. Quel regard portez-vous sur votre existence ?
Tenzin Gyasto : Tous les êtres humains ont des destins extraordinaires ! Il y a des moments où les choses vous réjouissent ; d'autres où elles vous attristent Les hauts et les bas font partie de la destinée de tout le monde. Je crois que le plus important dans cette existence, c'est de faire quelque chose qui puisse être un bienfait pour les autres. Il faut vraiment avoir une attitude altruiste, c'est vraiment ça qui donne un sens à la vie. Le fait d'avoir été reconnu comme dalaï-lama me permet en diverses occasions de faire un peu de bien autour de moi. J'essaie, de mon mieux, de poursuivre dans ce chemin. J'enseigne l'interdépendance de tous les phénomènes et de tous les êtres, ainsi que la force de l'action non violente

Recueilli par Alain PLOMBAT